dimanche 10 avril 2011

Les actionnaires prédateurs ne casseront pas Carrefour facilement

Par Pierre-Angel Gay, directeur adjoint de la rédaction de La Tribune.

Décidément, c'est une décision qui ne passe pas. Non seulement les projets de scission de Carrefour ne convainquent pas la Bourse, mais en plus ils font chaque jour de nouveaux mécontents. Début mars, Jean-Martin Folz, l'ancien patron de PSA Peugeot-Citroën, démissionnait de son poste d'administrateur. Officiellement, pour des raisons personnelles. En réalité, parce qu'il désapprouvait une opération sans intérêt stratégique. Il y a quelques jours, le fonds américain Knight Vinke tentait de rallier d'autres actionnaires minoritaires pour s'opposer, en assemblée générale, à la mise sur le marché de 100 % de Dia, la filiale de "hard discount" du distributeur, et de 25 % de sa foncière Carrefour Property. Jeudi enfin, Hervé Defforey, descendant de l'un des fondateurs du groupe en 1959, faisait savoir à son tour, qu'il votera "non".

La levée de boucliers impressionne. Elle a de bonnes raisons. Ces deux projets, voulus depuis leur entrée au capital de Carrefour par ses deux actionnaires de référence, Bernard Arnault et Sébastien Bazin, sont à vocation purement patrimoniale - faire remonter du cash -, le produit des scissions (4 milliards d'euros) devant être intégralement redistribué. Ils ne régleraient donc, en rien, les difficultés - réelles - du groupe. Depuis sa fusion avec Promodès en 1999, le distributeur souffre, à l'international, d'une trop grande dispersion - le redressement est à portée de main - et, en France, d'un mariage raté entre les hypermarchés Carrefour et Continent, ainsi que d'un positionnement prix incertain.

Ce sont ces deux dossiers-là que le groupe doit traiter en priorité. Lars Olofsson, le directeur général, s'y emploie. Mais se défaire des bijoux de famille n'y ferait rien. La Bourse, Jean-Martin Folz, les minoritaires ne disent pas autre chose. On ne peut pas casser un champion national, uniquement parce qu'on y est entré à un mauvais moment. Ou pour de mauvaises raisons.

NON à la scission et au démentellement de l'entreprise

C'est maintenant au tour des actionnaires familiaux du groupe Carrefour de faire entendre leur voix. Parmi eux, figure Hervé Defforey, l'un des fils de Denis Defforey co-fondateur du groupe Carrefour avec Marcel Fournier en 1959. "Je ne suis qu'un petit actionnaire de Carrefour. Mais je voterai non" aux projets de scission de Carrefour, indique à La Tribune Hervé Defforey, ancien directeur financier du groupe. Contacté par La Tribune, le clan Halley, actionnaire de référence du groupe avant la volée en éclats de son pacte d'actionnaires en 2007, n'a pas répondu  pour faire part de son opinion. Mais tous les analystes financiers s'interrogent sur la prise de position des héritiers de Paul-Louis Halley.
C'est donc au tour de Colony Capital et de Groupe Arnault d'être sous pression. Le 21 juin, les actionnaires de référence du groupe Carrefour, qui détiennent 14% du capital du distributeur et 20% des droits de vote, espèrent décrocher l'aval de l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires du distributeur pour procéder à deux opérations majeures : l'introduction en Bourse de 25% du capital de Carrefour Property, sa foncière, et de 100%, son enseigne de hard discount Dia. Mais, à deux mois de la tenue de cette AG, les deux actionnaires de Carrefour qui ont dicté ces projets au directeur général Lars Olofsson se heurtent à des vents contraires. L'activiste new-yorkais Knight Vinke, actionnaire à hauteur de 1 % du capital, démarche les actionnaires institutionnels du groupe pour s'opposer à ce projet jugé sans intérêt stratégique. Le succès de la grève des salariés, le 9 Avril, accentue encore la pression sur Bernard Arnault et Colony Capital.
L'enjeu est de taille. Pour être approuvés en Assemblée générale extraordinaire, les projets de scission de Carrefour doivent obtenir les deux tiers des votes des voix présentes ou représentées. À la tête de 20% des droits de vote, Colony Capital et Groupe Arnault doivent rallier le plus grand nombre d'actionnaires à leur cause. Obtiendront-ils ces voix ? "Et inversement, Knight Vinke fédérera-t-il un tiers de voix contre ce projet ?", s'interroge un analyste financier. D'après Reuters, pour contrer les plans de Colony Capital et Groupe Arnault, il lui faudra convaincre environ 25% des actionnaires du groupe, en faisant l'hypothèse qu'environ 75% des votants sont représentés en moyenne en assemblée générale extraordinaire et qu'il faut obtenir le tiers des votes pour faire capoter le projet. Mais en mai 2010 lors de la dernière assemblée générale de Carrefour, seuls 50% des titres étaient présents ou représentés. Knight Vinke n'aurait alors eu à rallier que 16% environ des votants. "Tout dépendra donc du taux de participation à l'AG du 21 juin", conclut un analyste.

D'ici là, les avis des analystes financiers pèseront lourd. La plupart s'interrogent sur l'intérêt stratégique de ces opérations et leur "création de valeur". Estimé à environ 4 milliards d?euros, le produit des ventes de Carrefour Property et Dia doit revenir exclusivement à ses actionnaires. Depuis l'annonce du plan de scission, le titre Carrefour a abandonné 9,6%. L'échec de ce projet pourrait encore aggraver la descente aux enfers de Carrefour. "Il pourrait aussi remettre en cause le partenariat entre Colony Capital et Groupe Arnault", ajoute un analyste financier.